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La source enchantée
J’errais dans la montagne un jour de chaleur grande,
Une source s’offrit, claire, parmi des houx.
Comme les chevaliers dont parle la légende
Pour boire dans ma main je me mis à genoux.
Quelqu’une qui paissait un troupeau dans la lande
Me cria, mais hélas ! Trop tard : « Malheur à vous ! »
J’avais bu, sans savoir, l’eau de Brocéliande,
Ma lèvre en a gardé l’impérissable goût.
Et je vais, depuis lors, indifférent aux choses
Qui font les hommes gais ou qui les font moroses,
La source fée en moi luit sous les arbres verts ;
Je suis le prisonnier de son eau diaphane,
Et je ne sais plus rien de l’immense univers
Que le reflet changeant des yeux de Viviane.
Anatole Le Braz
L’homme et la mer
Homme libre, toujours tu chériras la mer !
La mer est ton miroir, tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame
Et ton esprit n’est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais à plonger au sein de ton image ;
Tu l’embrasses des yeux et des bras, et ton cœur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux ténébreux et discrets ;
Homme, nul n’a sondé le fond de tes abimes ;
O mer, nul ne connait tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets !
Et cependant voilà des siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remord,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
O lutteurs éternels, O frères implacables !
Charles Baudelaire
L’Albatros
Souvent, pour s’amuser, les hommes d’équipage
Prennent des albatros, vastes oiseaux des mers,
Qui suivent, indolents compagnons de voyage,
Le navire glissant sur les gouffres amers.
A peine les ont-ils déposés sur les planches,
Que ces rois de l’azur, maladroits et honteux,
Laissent piteusement leurs grandes ailes blanches
Comme des avirons traîner à côté d’eux.
Ce voyageur ailé, comme il est gauche et veule !
Lui, naguère si beau, qu’il est comique et laid !
L’un agace son bec avec un brûle-gueule,
L’autre mime en boitant, l’infirme qui volait !
Le Poète est semblable au prince des nuées
Qui hante la tempête et se rit de l’archer ;
Exilé sur le sol au milieu des huées,
Ses ailes de géant l’empêchent de marcher.
Charles Baudelaire
Le récif de corail
Le soleil sous la mer, mystérieuse aurore,
Éclaire la forêt des coraux abyssins
Qui mêle, aux profondeurs de ses tièdes bassins,
La bête épanouie et la vivante flore.
Et tout ce que le sel ou l’iode colore,
Mousse, algue chevelue, anémones, oursins,
Couvre de pourpre sombre, en somptueux dessins,
Le fond vermiculé du pâle madrépore.
De sa splendide écaille éteignant les émaux,
Un grand poisson navigue à travers les rameaux.
Dans l’ombre transparente indolemment il rôde ;
Et brusquement, d’un coup de sa nageoire en feu
Il fait, par le cristal morne, immobile et bleu,
Courir un frisson d’or, de nacre et d’émeraude.
José-Maria de Heredia
ÎLES, de Jean Cocteau
A Palma de Majorque
Tout le monde est heureux.
On mange dans la rue
Des sorbets au citron.
Des fiacres, plus jolis
Que des violoncelles,
Vous attendent au port
Pour vous mettre à l’hôtel.
Racontez-moi encore
Palma des Baléares ;
Je ne connais qu’une île
Au milieu de la Marne.
Elle est petite, en tôle,
Comme un tir de la foire ;
Mon coeur est l’oeuf qui danse
Sur le haut du jet d’eau.
Monsieur le photographe,
Un oiseau va sortir.
La noce qui s’embarque…
Je reste seul sauvage.
Marquises, Carolines,
Votre nom sur la carte.
Grave le mien dans l’arbre
Près de la balançoire.
Express et paquebots
Qui bercent nos voyages,
Ce sont les bateaux-mouche
Et les trains de plaisir.
VOYAGES
Un train siffle et s’en va, bousculant l’air, les routes,
L’espace, la nuit bleue et l’odeur des chemins ;
Alors, ivre, hagard, il tombera demain
Au coeur d’un beau pays en sifflant sous les voûtes.
Ah ! la claire arrivée au lever du matin !
Les gares, leur odeur de soleil et d’orange,
Tout ce qui, sur les quais, s’emmêle et se dérange,
Ce merveilleux effort d’instable et de lointain !
– Voir le bel univers, goûter l’Espagne ocreuse,
Son tintement, sa rage et sa dévotion ;
Voir, riche de lumière et d’adoration,
Byzance consolée, inerte et bienheureuse.
Voir la Grèce debout au bleu de l’air salin,
Le Japon en vernis et la Perse en faïence,
L’Egypte au front bandé d’orgueil et de science,
Tunis, ronde, et flambant d’un blanc de kaolin.
Voir la Chine buvant aux belles porcelaines,
L’Inde jaune, accroupie et fumant ses poisons,
La Suède d’argent avec ses deux saisons,
Le Maroc, en arceaux, sa mosquée et ses laines…
Anna de Noailles
L’escale
L’escale fait sécher ses blancheurs aux terrasses
où le vent s’évertue,
Les maisons roses au soleil qui les enlace
Sentent l’algue et la rue.
Les femmes de la mer, des paniers de poissons
irisés sur 1a tête,
Exposent au soleil bruyant de la saison
La sous-marine fête.
Le feuillage strident a débordé le vert
Sous la crue de lumière,
Les roses prisonnières
Ont fait irruption par les grilles de fer.
Le plaisir matinal des boutiques ouvertes
Au maritime été
Et des fenêtres vertes
Qui se livrent au ciel, les volets écartés,
S’écoule vers la Place où stagnent les passants
Jusqu’à ce que soit ronde
L’ombre des orangers qui simule un cadran
Où le doux midi grogne.
Jules Supervielle
Partir !
Aller n’importe où, vers le ciel ou vers la mer,
vers la montagne ou vers la plaine !
Partir !
Aller n’importe où, vers le travail, vers la beauté ou vers l’amour !
Mais que ce soit avec une âme pleine de rêves et de lumières,
avec une âme pleine de bonté, de force et de pardon !
S’habiller de courage et d’espoir,
et partir,
malgré les matins glacés, les midis de feu, les soirs sans étoiles.
Raccommoder, s’il le faut, nos cœurs
comme des voiles trouées, arrachées au mât des bateaux.
Mais partir !
Aller n’importe où
et malgré tout !
Mais accomplir une œuvre !
Et que l’œuvre choisie soit belle,
et qu’on y mette tout son cœur ,
et qu’on lui donne toute sa vie.
Cécile Chabot
35° 57′ Latitude nord
15°16′ Longitude ouest
C’est aujourd’hui que c’est arrivé
Je guettais l’événement depuis le début de la traversée
La mer était belle avec une grosse houle de fond
qui nous faisait rouler
Le ciel était couvert depuis le matin
Il était 4 heures de l’après-midi
J’étais en train de jouer aux dominos
Tout à coup je poussai un cri et courus sur le pont
C’est ça c’est ça
Le bleu d’oultremer
Le bleu perroquet du ciel
Atmosphère chaude
On ne sait pas comme cela s’est passé et comment
définir la chose
Mais tout monte d’un degré de tonalité
Le soir j’en avais la preuve par quatre
Le ciel était maintenant pur
Le soleil couchant comme une roue
La pleine lune comme une autre roue
Et les étoiles plus grandes plus grandes
Ce point se trouve entre Madère à tribord et
Casablanca à bâbord
Déjà
Blaise CENDRARS
Clair de lune
On tangue on tangue sur le bateau
La lune la lune fait des cercles dans l’eau
Dans le ciel c’est le mât qui fait des cercles
Et désigne toutes les étoiles du doigt
Une jeune Argentine accoudée au bastingage
Rêve à Paris en contemplant les phares qui dessinent
la côte de France
Rêve à Paris qu’elle ne connaît qu’à peine et qu’elle
regrette déjà
Ces feux tournants fixes doubles colorés à éclipses lui
rappellent ceux qu’elle voyait de sa fenêtre d’hôtel sur
les Boulevards et lui promettent un prompt retour
Elle rêve de revenir bientôt en France et d’habiter Paris
Le bruit de ma machine à écrire l’empêche de mener son
rêve jusqu’au bout.
Ma belle machine à écrire qui sonne au bout de chaque
ligne et qui est aussi rapide qu’un jazz
Ma belle machine à écrire qui m’empêche de rêver à
bâbord comme à tribord
Et qui me fait suivre jusqu’au bout une idée
Mon idée
Blaise Cendrars
MEDITATION GRISÂTRE
Sous le ciel pluvieux noyé de brumes sales,
Devant l’océan blême, assis sur un îlot,
Seul, loin de tout, je songe au clapotis du flot,
Dans le concert hurlant des mourantes rafales.
Crinière échevelée ainsi que des cavales,
Les vagues, se tordant, arrivent au galop,
Et croulent à mes pieds avec de longs sanglots
Qu’emporte la tourmente aux haleines brutales.
Partout le grand ciel, le brouillard et la mer,
Rien que l’affolement des vents balayant l’air.
Plus d’heures, plus d’humains, et solitaire, morne,
Je reste là, perdu dans l’horizon lointain
Et songe que l’Espace est sans borne, sans borne
Et que le temps n’aura jamais…jamais de fin.
Jules Laforgue
Plongée
Au soleil la mer est douce
comme un écran de satin
à sa surface je me pousse
nageant comme un poussin
mais le poussin gagne ses ailes
et le poussin devient poisson
et je m’envole hirondelle
vers les rochers au plus profond
je regarde mes congénères
se déplaçant vifs ou lents
ils sont à l’aise et me tolèrent
à leurs côtés barbotant
des herbes couvrent la rocaille
le paysage est délicieux
mais à la fin vaille que vaille
je dois remonter vers le ciel
Raymond QUENEAU
Voici monter la mer
L’eau brumeuse de la rivière
S’éveille dans le matin clair.
Du fond calme de l’estuaire
Voici monter, monter la mer.
Elle entre au cœur de la vallée
Comme un brusque jet de sang fort,
Et sa rude haleine salée
Ressuscite le pays mort ;
Et la vieille ville assoupie,
Tréguier, Pontrieux ou Quimper
Tressaille, comme si la vie
Montait en elle avec la mer ;
Et les barques, dont les mâts penchent
Si tristes, au pied des remparts,
Sentent soudain vibrer leurs planches
Comme à l’appel des grands départs…
Anatole Le Braz
Histoire de pirates
Trois des nôtres à flot balancés dans le pré.
Trois des nôtres dans l’herbe à bord d’un gros panier.
Soufflent dans le printemps les vents qui sont dans l’air.
Les vagues dans le pré sont vagues de la mer.
En étant embarqués, où tenter la conquête,
guidés par une étoile et bravant la tempête ?
En route pour l’Afrique, installés à la barre,
Pour Babylone ou Rhode Island, ou Malabar ?
Voici une armada qui nage dans la mer
Bétail sur la prairie tout à fait enragé,
Qui charge en mugissant ! Vite il faut nous sauver :
le perron est le port, le potager la terre.
Robert Louis Stevenson
En voyage, on s’arrête, on descend de voiture ;
Puis entre deux maisons on passe à l’aventure,
Des chevaux, de la route et des fouets étourdi,
L’oeil fatigué de voir et le corps engourdi.
Et voici tout à coup, silencieuse et verte,
Une vallée humide et de lilas couverte,
Un ruisseau qui murmure entre les peupliers, –
Et la route et le bruit sont bien vite oubliés !
On se couche dans l’herbe et l’on s’écoute vivre,
De l’odeur du foin vert à loisir on s’enivre,
Et sans penser à rien on regarde les cieux…
Hélas ! une voix crie : “En voiture, messieurs !”
Gérard de Nerval
LA FABLE DE LA MER A BOIRE
Un jour que Moluan s’en allait à la foire,
Il vit tant de poissons en mer qu’il se sentit
Soudain un furieux appétit.
S’il n’y avait plus d’eau, pensa ce grand penseur,
Je pourrais prendre les meilleurs.
Il entre dans la mer et commence à la boire.
Or, le reflux chassait la marée du rivage.
Tiens, se dit Moluan, j’en ai bu tant de tasses
Que la mer est déjà plus basse.
Je vais la boire tout entière jusqu’au fond,
Ainsi j’aurai tous les poissons,
Je passerai, aux yeux des hommes, pour un Sage.
Vint à passer par là Tjolaï le pêcheur
Qui surprend le buveur.
Idiot, fait Tjolaï, qu’as-tu donc dans la tête ?
Peut-on être aussi bête !
Jamais l’océan ne s’assèche.
Si tu veux du poisson, prends ton arc et tes flèches.
Le soleil semble un phare à feux fixes et blancs.
Du Raz jusqu’à Penmarc’h la côte entière fume,
Et seuls, contre le vent qui rebrousse leur plume,
A travers la tempête errent les goëlands.
L’une après l’autre, avec de furieux élans,
Les lames glauques sous leur crinière d’écume,
Dans un tonnerre sourd s’éparpillant en brume,
Empanachent au loin les récifs ruisselants.
Et j’ai laissé courir le flot de ma pensée,
Rêves, espoirs, regrets de force dépensée,
Sans qu’il en reste rien qu’un souvenir amer.
L’Océan m’a parlé d’une voix fraternelle,
Car la même clameur que pousse encor la mer
Monte de l’homme aux Dieux, vainement éternelle.
José-Maria de Hérédia
Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage,
Ou comme cestuy-là qui conquit la toison,
Et puis est retourné, plein d’usage et raison,
Vivre entre ses parents le reste de son âge !
Quand reverrai-je, hélas, de mon petit village
Fumer la cheminée, et en quelle saison
Reverrai-je le clos de ma pauvre maison,
Qui m’est une province, et beaucoup davantage ?
Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux,
Que des palais Romains le front audacieux,
Plus que le marbre dur me plaît l’ardoise fine :
Plus mon Loire gaulois, que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré, que le mont Palatin,
Et plus que l’air marin la douceur angevine.
Joachim Du Bellay
LE VOYAGEUR ET SON OMBRE
Un voyageur pensif en fronçant fort son front
contemplait la nature énorme énorme chose
pleine de mystères et de contradictions
pleines de boules puantes et de fleurs écloses
Tout autour s’étendaient les prés et la verdure
les volcans les jardins les rochers et l’azur
les forêts les radis les oiseaux les pinsons
les golfes les déserts les bœufs les charançons
Et le penseur pensif toujours fronçant sa hure
contemplait contemplait contemplait la nature
Il se mit à pleuvoir Alors le voyageur
ouvrit son parapluie et regarda quelle heure
il était à sa montre et reprit son chemin
en murmurant tout bas : moi je n’y comprends rien.
Raymond Queneau
L’aventure
Les mâts qui se balancent
dans ce grand port de la Manche
n’emporteront pas l’écolier
vers les îles des boucaniers
jamais, jamais, jamais
il n’eut l’idée de se glisser
à bord du trois – mâts qui s’élance
vers le golfe du Mexique
il le suit sur la carte
qui bellement se déplace
avant les longitudes
vers Galveston ou Tampico
il a le goût de l’aventure
l’écolier qui sait regarder
de si beaux bateaux naviguer
sans y mettre le pied
sans y mettre le pied
Raymond Queneau